Comment fleurir dans un champ en ciment? Comment respirer dans une ville bouclée dans laquelle l'art est lui-même perverti par le système en place?
Dans son roman "Tristesse Avenue", paru récemment aux éditions Arabesques, Nidhal Guiga expose sa désillusion d'une ville sans espoir où tout est méprise et hypocrisie. Une ville qui engloutit les voix, où les êtres ne sont que des ombres qui viennent cracher contre les murs du silence. Du rien.
Et c'est à travers l'histoire de Kmar Lyl, une comédienne de trente ans qui disparaît, que Nidhal Guiga construit sa trame narrative. Une enquête est ouverte au Ciné-théâtre Laguna afin de connaitre qui est derrière cette disparition subite. Est-ce J.L., propriétaire des lieux et metteur en scène manipulateur et machiavélique surtout que Mona Kal, elle même comédienne au Laguna, s'est suicidée pour motif inconnu, il y a trois ans de cela?
A travers les 147 pages de son roman, Nidhal Guiga, elle même comédienne de son état, fustige une société pervertie dans laquelle les derniers remparts ont été aussi corrompus. L'auteur manie bien l'intrigue et maintient le lecteur en haleine à la recherche de celui ou celle qui peut avoir une information quant à la disparition de Kmar Lyl.
Dans son roman, une sorte de catharsis littéraire, Nidhal Guiga règle ses comptes avec le système en place, un système basé sur l'exclusion, sur l'étouffement, un bloc rigide sans ouverture possible. Mais pourquoi ce pays, achève-t-il sa jeunesse? s'indigne l'auteur. Écorchée à vif, mais au regard lucide, Nidhal Guiga peint une plaie béante. Une plaie Tunisienne Ô combien vive.
S'il y a un traité qui correspond à la situation prédominante dans les relations dans notre pays, Nidhal Guiga dit que c'est celui de la vassalité, état où les sujets deviennent dépendants d'un signe de reconnaissance ou d'un acte généreux. Ne plus croire en soi jusqu'à perdre sa dignité. Et c'est contre ce système que s'élève l'écrivaine dans "Tristesse Avenue".
Tout au long de deux chapitres "Qu'est ce que manifester dans un patelin ferré?" et "Comment respirer dans une ville bouclée?", l'auteur rompt avec le schéma du récit classique, une sorte de digression qui dit à travers un discours poétique direct les traits d'une ville qui vit au tempo des marteaux piqueurs et des klaxons. "Crier contre le vent, manifester et ne rien espérer, ne rien attendre" telle est la situation du citoyen lambda dans cette ville grise.
Puis, Nidhal Guiga pousse sa plume au bout. Au cœur de ce qui est censé représenter les valeurs de la liberté d'expression et de la création. L'art en général et le théâtre en particulier. Théâtre ou fond de Cercueil? se demande-t-elle. Question qui résume tout le regard que porte l'écrivaine sur la situation du théâtre en Tunisie.
Et c'est à J.L., directeur de théâtre arrogant, que s'attaque l'écrivaine. Elle prend un malin plaisir d'en faire le personnage principal de son roman pour le descendre, le cibler de la plume de sa critique, car des êtres pareils doivent être dénoncés. "Allez! dites votre texte, comme si vous agonisiez! Que les mots s'arrachent à votre gorge comme s'ils étaient testamentaires.. Oui... oui... comme ça... Souvenez vous de la griseur et travaillez". ِC'est ainsi que s'adresse J.L. à ses comédiens.
Ce roman est une tentative de casser le système clos. Avec sensibilité, Nidhal Guiga le dénonce, le crie, le refuse comme si c'était sa première et ultime bataille, comme une prisonnière qui se bat contre les chaînes qui l'entourent. Car dans ce pays là, on perd son énergie à se battre contre les moulins à vent au lieu d'ouvrir les portes à la vie vive et vivante.
Chiraz ben M'rad
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